PASCAL CAVIN

Travaux / Work            Textes / Texts             Bio / About            Contact
Rédigé à l'occasion de l'exposition
La consolation des images
14 juin - 7 jullet 2019
Standard/Deluxe, Lausanne, CH
    Cette proposition de la consolation des images nous convie à prendre le temps de décomposer, puis de recomposer une image jusqu’à l’épuisement de celle-ci.

    Les sujets sont tirés de l’intime, du lieu de vie de l’artiste dans lequel sont passés Francis Reusser et Anne-Marie Miéville, comme des fantômes d’une vie passée ou des compagnons d’images mentionnés de loin par leurs prénoms. Des photographies du quotidien, du jardin, de la forêt d’à côté, pas de démonstration d’intention, pas de sensationnalisme, juste une attention, comme ça, parmi d’autres regards: l’image de migrants couchés sur l’herbe, un portrait officiel d’une famille royale ou le reflet d’un paysage dans une voiture.
    Choisir des images est déjà une démarche en soi. Pascal Cavin utilise une image, mais cela pourrait en être une autre, celle d’avant, celle d’à côté, celle d’un autre, il choisit une image qui ne dit pas tout, une image où subsiste un mystère, une image qui pourrait se consommer très vite, une image qui pourrait s’oublier la seconde d’après le regard posé sur celle-ci. Une image qui ne mérite pas forcément l’attention, ni par le sujet, ni par sa forme, une image parmi d’autres.

    Il faut dire que c’est d’abord une image photographique qui intéresse l’artiste, une matrice, un potentiel, une latence. Pascal Cavin ausculte l’image numérique en utilisant les outils de la définition d’une photographie constituée de pixels. Décomposer la couleur de l’image, puis décomposer la valeur de chaque couleur de l’image. Il dissocie les couches de la synthèse soustractive: cyan/magenta/jaune/noir et s’attelle, avec différentes techniques comme l’aquarelle et les crayons de couleur, à les dessiner une à une, chacune en trois valeurs différentes, reconstituant ainsi l’image.
    C’est un processus volontairement lent et minutieux, un temps déraisonnable dévolu à la retranscription d’une image. Le geste manuel et la répétition de celui- ci dissolvent le sens ou l’origine de l’image. Il y a une tentative un peu folle, un peu absurde de comprendre la matière même de l’image jusqu’à l’épuiser, et finalement la faire disparaître ou plutôt... réapparaître.
    Pascal Cavin reproduit les images manuellement, comme si le processus devenait le médium, la photographie redevient un original, une pièce unique, mais le procédé est emprunté à la mécanique de reproduction, couche par couche; couleur par couleur. Il y a souvent plusieurs versions, plusieurs retranscriptions, comme des tirages ou des estampes issus d’une même matrice.
    Une photographie est une reproduction du réel, toujours: interprétée, mécanisée, bafouée, sublimée, qu’importe. Pascal Cavin pose cette question délicate de la reproduction, de la reconstitution, de l’interprétation d’une image, d’une représentation.

    Peut-on se faire consoler par les images? La consolation est un soulagement apporté à la douleur, un pansement de l’âme. Je crois que les images peuvent nous consoler, parce qu’en évitant les mots, elles traversent d’autres strates de notre mémoire émotive que celles de la pensée active, formulée. Et bien sûr parce qu’elles sont un langage, elles nous consolent en référence à d’autres images, retrouvées ou fantasmées.

    Faut-il prendre soin des images? À partir du moment où une image est sortie du flot des images, à partir du moment où quelqu’un s’attarde, s’intéresse à cette image (et pas forcément au sujet de celle-ci), et bien, elle acquiert une deuxième vie. Pascal Cavin console les images, en ce sens qu’il leur donne du temps, qu’il les observe comme un scientifique qui désire en connaître la matière même, sans forcément en chercher la signification.

    Il y a dans le processus artistique de Pascal Cavin quelque chose qui peut s’identifier à une sorte d’ascèse, une discipline de l’image qui questionnerait au-delà du sens des choses, qui chercherait à expérimenter des gestes et des représentations dans une idée de transcendance. Les travaux présentés ici sont les résultats visibles et fascinants de ce processus.

    — Virginie Otth
    Rédigé à l'occasion de l'exposition
    Comme si tout cela devait disparaître
    14 avril - 7 mai 2016
    Abstract, Lausanne, CH
      Comme si tout cela devait disparaître

      L’image s’érige sur le fond d’une menace et d’un engagement. Une menace, celle de la disparition; l’image est alors trace, elle marque à la fois la présence (s’il y a trace, c’est qu’il y a bien eu là quelque chose, devant moi ou en moi) et l’absence (cette chose n’est plus, ou ne sera plus). Un engagement, celui d’ouvrir un rapport inédit au monde, absolument singulier, puisque l’artiste est celui qui peut représenter son expérience du monde.

      Et peut-être, l’expérience qui se donne ici prélève et révèle de ce monde une beauté fragile, suspendue. Des façades de bâtiment seules – les autres se manifestent par leur absence –, en lévitation, dont la lourdeur s’est égarée et le décor évaporé. Des voitures qui se cachent, imposantes dans leur tentative de protection – de disparition peut-être. Une femme à l’enfant, qui se réduisent l’un et l’autre à une silhouette – on ne saisit leur visage, seuls comptent leur place dans l’espace, leur découpage dans l’immensité d’un ciel au zeppelin. Une beauté suspendue, oui, cueillie dans l’immobilité et la délicatesse de la répétition, une présence des choses qu’il y a soin de préserver, encore et encore, dans la patience et le silence de la peinture, dans le trait lentement tiré, dans la couleur posée, aimée. L’art est un lieu d’abri du monde, il montre ce qui sans cesse se dérobe, ce qui échappe, ce qui ne cesse de se manifester tout en étant frappé d’invisibilité – une façade de piscine, une voiture voilée, une femme à l’enfant. Il y aurait ici comme une existence enfin calme des choses, emmenées dans l’ailleurs de l’art pourtant au cœur du monde.

      Les murs, ces blocs de béton massifs, impitoyables: doucement, dans le mouvement du peintre, arrachés à leur pesanteur, les voilà reconfigurés. Ils perdent leurs dimensions, en acquièrent de nouvelles, inattendues, qui déroutent les repères de l’esprit, désorientent ou plutôt réorientent l’amour des choses, dans un brouillage limpide des volumes. Ce n’est pas une reconnaissance, c’est une réappropriation autre, par la clarté transparente de l’aquarelle, de ce monde qui est le nôtre. Le regard, incertain, se laisse prendre dans ces perspectives impromptues, puisque les amas de couleurs nous égarent, puisque les traits semblent indiquer autre chose que des contours, puisque la peinture se met elle-même en scène, ne montre rien d’autre qu’elle-même.

      Fugace obsession de la reproduction. En trois déclinaisons: voitures, façades, trinité. La reproduction nous hante, parce que les événements n’ont lieu qu’une fois: ce qui en l’occurrence est saisi par la photographie, c’est l’instant unique qui jamais plus n’adviendra.
      La photographie, elle, est reproductible à volonté. Mais au fait, les vingt-quatre poses égyptiennes? Le film, la fluidité, ce qui passe. Or ici rien ne bouge. Les voitures aux antipodes de leur nature. Scotchées. Clouées. Oubliées. Mais au fait, la peinture? S’éprend-elle ici jalousement de la photographie? Elle semble s’appeler elle-même, convoquer sa propre perpétuation, pour saisir, encore et encore, quoi? Peut-être cette trinité douce, sombre et imperturbable, dont chacun des éléments invariablement s’ignore, qui laisse place en son centre à une ouverture, pleine et désertée. Et au zeppelin que personne ne regarde. Comme si quelque chose devait arriver, était attendu, dans cette immensité suspendue, et que le geste de l’artiste infiniment répété visait à atteindre cet instant imaginaire à jamais hors de portée.

      — Olivia Studer